Objectives
Soutenir, observer et analyser les conditions de réalisation de recherches collaboratives entre journalistes et chercheur.e.s en sciences sociales. Identifier les réussites et difficultés afin de constituer une boîte à outils facilitant ce type de collaboration.
Specific actions
Constituer trois binômes, chercheur.e.s et journaliste.s, afin d’enquêter sur un sujet de société (les jeunes malades d’Alzheimer, les élections municipales et les usages sociaux des techniques de contraception). Le travail des trois binômes est observé et analysé.
Project description
Contexte
Le projet PLACES vise à explorer les conditions permettant le développement d’une « PLAteforme Collaborative pour les Enjeux Sociétaux » afin de proposer une réponse aux limites que connait la mise en public des sciences aujourd’hui. Son ambition est de mettre à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle les relations entre le journalisme et la recherche sont un axe majeur de développement et d’innovation pour la pratique journalistique, dans le contexte marqué par le phénomène de désinformation massive que connaissent les sociétés démocratiques aujourd’hui. Les journalistes et les chercheur.e.s tendent en effet à assurer deux rôles distincts et successifs, ce qui engendre un cloisonnement des pratiques professionnelles constituant un obstacle à une bonne compréhension des enjeux de société.
Le projet PLACES s’est concentré sur les sciences humaines et sociales (SHS), dans la mesure où il existe dans la presse une tendance à ne pas traiter comme des sujets scientifiques les recherches qui en relèvent, mais plutôt comme des informations dédiées aux rubriques Société, Culture ou Environnement. L’intention est ici d’étendre la compétence à reconnaître, à comprendre les méthodes de recherche en SHS, et le cas échéant les mettre en œuvre, d’armer les pratiques journalistiques d’outils plus fins et consolidés pour explorer, analyser et comprendre les enjeux de société qui tissent nos vies. Cela signifie, d’une part, rendre visible l’engagement premier des chercheur.e.s en SHS dans l’articulation de la science et de la société, et donc de défendre leur expertise sur ce plan. D’autre part, il s’agit pour ces chercheur.e.s d’améliorer leur capacité à traduire leurs résultats et à expliciter leurs méthodes. Le projet PLACES a souhaité approfondir l’idée selon laquelle la portée d’un « sujet » auprès du grand public serait renforcée lorsque des journalistes et des chercheur.e.s parviennent à enquêter de concert puis à collaborer jusqu’à la réalisation du produit journalistique final et à sa restitution, influençant ainsi la qualité du débat démocratique.
Objectifs
Le projet PLACES a commandé trois enquêtes expérimentales en binômes (nommées projets-pilotes), constituées d’un.e chercheur.e en SHS et d’un.e journaliste et associés chacun à un média, afin d’enquêter sur un sujet de société de leur choix : la campagne pour les municipales (CafeBabel), l’aménorrhée volontaire (20 Minutes) et la maladie d’Alzheimer à un âge précoce (Binge Audio). Pour expérimenter une collaboration renouvelée entre les chercheur.e.s et les journalistes, le projet PLACES a souhaité les rendre co-acteurs du processus, les invitant à prendre part à une démarche de recherche participative. Afin de faire émerger une dimension participative dans la production des connaissances, il a été proposé une collaboration « intégrée », où les journalistes et les chercheur.e.s étaient impliqués à part égale dans le choix des sujets de société sur lesquels ils allaient travailler et dans la définition des méthodes et moyens de collecte de données mises en œuvre. L’unique contrainte imposée a été de produire au moins un corpus de données commun.
L’objectif de PLACES a été celui de soutenir et d’observer ces recherches collaboratives entre journalistes et chercheur.e.s en sciences sociales afin de constituer une boîte à outils facilitant ce type de collaboration. Dans cette perspective, une quatrième enquête a été financée en parallèle (nommée méta-projet) dans le but d’étudier dans le temps long les collaborations entreprises au sein des trois projets-pilotes, dont les travaux ont fait l’objet de publications régulières sur le carnet de recherche du projet, dans une démarche d’ouverture du processus de la recherche en train de se faire. Le but du méta-projet a été celle de suivre la mise en œuvre des pilotes au jour le jour, pour en identifier les conditions de concrétisation, les freins dans la collaboration, cerner les éventuels besoins d’accompagnement et en souligner les réussites. La mission du méta-projet a été également celle de synthétiser et de problématiser les observations effectuées et enfin de présenter des propositions en vue de la création d’une plateforme numérique de travail destinée à soutenir ce type de collaboration. Le projet a constitué une proof of concept pour le projet européen COESO (coeso.hypotheses.org).
PLACES a été supervisé par Pierre Mounier et coordonné par Alessia Smaniotto, respectivement ingénieur de recherche et ingénieure d’études à l’EHESS. La recherche qualitative sur la collaboration des binômes de chercheures et de journalistes est réalisée par Alexandra Caria et Jonathan Chibois, post-doctorants à l’EHESS.
Modalités de participation
- Constituer un binôme journaliste – chercheure
- Mener une enquête ensemble sur un sujet de société de votre choix
- Collaborer à toutes les étapes : enquête, analyse, produit final, restitution
- Participer à une enquête réflexive sur le travail collaboratif journaliste – chercheur.e
Résultats
1. « La frontière des extrêmes »
Il s’agit du résultat de l’enquête collaborative menée conjointement par le journaliste Safouane Abdessalem et Daniela Trucco, chercheuse en science politique, dans la ville de Nice ainsi que dans la vallée de la Roya. Cette enquête avait comme sujet de mettre en lumière la manière dont prenait forme la campagne électorale pour l’élection municipale dans cette région frontalière de l’Italie, fortement concernée par la question migratoire.
Les trois articles de presse du projet sont en ligne sur le site de Cafébabel :
- Comment les identitaires planent sur les municipales dans les Alpes-Maritimes, publié le 5 mars 2020 ;
- Frontière franco-italienne : terre des fake news de l’extrême droite, publié le 12 mars 2020 ;
- Crise migratoire : liberté, égalité, délit de solidarité, publié le 19 mars 2020 ;
2. « Supprimer ses règles »
Ce dossier est le résultat de l’enquête menée conjointement par la journaliste Aude Lorriaux et Julie Ancian, chercheuse en sociologie du genre, de la violence et de la santé. Cette enquête avait comme objet de questionner le saignement systématique des femmes sous contraception hormonale, celui constituant un lourd fardeau à porter au quotidien qui n’a pourtant aucune justification médicale.
Initiative originale, ce dossier a été publié en sept fragments :
- Sur le site web de 20 minutes, publiés le 2 juin 2020 :
1. Comment et pourquoi on a fabriqué, avec la pilule, de fausses règles
2. Peut-on se passer des saignements sous pilule sans danger ?
3. Mais pourquoi les femmes ont-elles encore des règles sous pilule ?
- Sur le carnet du projet PLACES, publiés le 2 juin 2020 :
4. Pourquoi les labos vendent-ils des pilules qui créent de fausses règles ?
5. Ces femmes qui suppriment leurs menstruations
- En une de l’édition papier de 20 minutes du 5 juin 2020 :
6. Le défi de vivre dans règles (PDF)
- Sur la chaîne de podcast de 20 minutes, publié le 25 juin 2020 :
7. #EtSiOnSangPassait ou comment des femmes ont arrêté leurs règles sous pilule
- « Vivre avec l’oubli »
Cette série de podcast est le résultat issu de l’enquête collaborative « Vivre avec l’oubli », menée conjointement par la journaliste et autrice Agathe Charnet et la chercheuse en sciences du langage et sociologie Alexandra Caria et Binge Audio.
Dans cette série de podcasts réalisée pour le Programme B de Binge Audio, Agathe Charnet nous livre un témoignage et une restitution du vécu de ces adultes “jeunes” auxquelles “Alzheimer” rend visite, tel un personnage qui fait irruption dans leur vie pour y prendre durablement part. Un voyage dans le vécu des personnes malades, mais aussi dans celui des proches qui les accompagnent dans cette confrontation avec “l’oubli”, accompagnement qui soulève tout autant la question de l’accès aux soins face à une guérison aujourd’hui estimée impossible. Ce voyage interroge également ce que la peur de cet oubli peut faire sur la manière d’envisager le futur pour ceux qui le vivent aux côtés des personnes malades.
La série Face à l’oubli est disponible sur le site du Programme B de Binge Audio, et aussi sur la chaîne YouTube de Binge Audio (Épisode 1: La mémoire qui flanche, Épisode 2 : Ne pas guérir, mais soigner, Épisode 3 : Vivre avec l’oubli, Épisode 4: Inventer l’avenir.)
Résultats de l’étude sur le travail collaboratif
Les résultats de l’étude sur les trois binôme est présenté dans le rapport final « Journalistes et chercheur.e.s mènent l’enquête. Étude de trois collaborations interprofessionnelles », disponible sur HAL. Des changements de pratiques ont été observés dans le jeu des interactions ordinaires des binômes, à différents degrés, allant d’une prise de conscience des termes utilisés pour décrire une réalité sociale à une remise en question plus radicale des méthodes de travail pour mener l’enquête. Les ajustements concernent les modes de raisonnement, l’articulation des types de connaissances d’une part, entre celles acquises durant les trajectoires personnelles et celles propres aux champs de spécialisation, et des pratiques documentaires d’autre part, concernant l’usage de sources documentaires propres à chaque champ disciplinaire et professionnel. Enfin, des ajustements des méthodes d’enquête ont conduit les partenaires à mettre en commun des outils et des procédures de recueil de données.
Afin de rendre possible le travail collaboratif entre chercheur et journaliste, quatre points sont à prendre en compte :
- Un travail important d’articulation, c’est-à-dire l’ensemble des tâches visant à donner vie à un collectif de travail par-delà les frontières des mondes professionnels. Ce travail d’articulation est nécessaire sinon la collaboration risquerait de ne pas être effective, les partenaires ne faisant alors qu’agir en parallèle sur un sujet partagé.
- La dynamique des projets de collaboration interprofessionnelle, qui trouve pour chaque étape des modalités d’accompagnement spécifiques (pour la mise en relation, l’instauration de l’association, la stabilisation et la séparation).
- L’isolement structurel auquel les partenaires doivent faire face ensemble au cours de l’entreprise commune, rendant parfois nécessaire l’intervention de personnes tierces.
- Le déséquilibre structurel dont ont souffert les trois projets-pilotes sur le plan de la gestion administrative et financière et dont ont résulté de nombreux problèmes d’ordre pratique. Ainsi, par exemple, les usages gestionnaires et comptables, qui différaient entre les organisations partenaires, ont généré des inégalités de conditions de travail et de mobilisations des ressources entre les participants.
L’observation et l’analyse des collaborations interprofessionnelles entre journalistes et chercheur.e.s en SHS devaient enfin aboutir à un cahier des charges destiné à la création d’un environnement numérique facilitant ce type de collaboration. Cet environnement mettrait à la disposition des partenaires des outils de travail partagé, de partage de données, l’accès à des sources documentaires et des sources de financements communes. Une telle plateforme devrait être aussi l’occasion de créer, animer et développer une communauté élargie permettant aux potentiels partenaires de se rencontrer, d’interagir et de faire connaître leur projet.
Cette étude a montré que la « plateforme » ne peut se limiter à un volet numérique : il est tout aussi nécessaire de coordonner les structures organisationnelles des mondes professionnels destinés à coopérer pour éviter des disparités − salariales, matérielles, administratives − trop grandes entre les partenaires, disparités qui pèsent lourdement sur la conduite des projets. Enfin, la sensibilisation, à différents niveaux, aux enjeux des projets réalisés en collaboration et l’accompagnement externe dans leur mise en œuvre assument une place centrale pour réduire autant qu’il est possible l’inconnu dans lequel les partenaires s’engagent, pour favoriser la transition vers de nouvelles pratiques (inter)professionnelles ainsi que pour leur reconnaissance.
Le projet de plateforme a pu être développé plus largement et voir le jour dans le cadre du programme européen COESO pour encourager le développement de sciences et recherches participatives dans les sciences humaines et sociales. Cette plateforme VERA est dédiée à la gestion de projets en ligne en facilitant : la rencontre et la création d’équipes collaboratives diversifiées, la recherche de financements dédiés, le travail collaboratif et le partage des projets au niveau international.
Ressources
- Carnet PLACES sur hypothèses.org
- Rapport du projet : lien
Co-managers
Alessia Smaniotto
Chargée de projets science citoyenne
EHESS
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